Après mon billet sur Giordano, voici le résumé d’une conversation de bureau avec ma collègue d’AFI. Pendant la pause déjeuner, elle m’a un peu briefée sur les prochains projets menés par AFI. Grosso modo, AFI travaille sur deux projets en collaboration avec un écrivain coréen.
Le premier projet est considéré comme un facteur de pacification. Cet écrivain veut construire une bibliothèque en Irak, pour les enfants. La bibliothèque comme lieu de paix. Voilà donc un projet qui sied bien à l’oreille d’une souris dévoreuse de livres… Bien sûr, à première vue, ça sonne très utopique. Cependant, bien des projets d’AFI démarrent sur des grands rêves utopiques et finissent par devenir des réalités (comme ce Workshop auquel j’ai participé). Alors, je demande à voir ce que ça va donner…
Cet auteur a apparemment quelques antécédents dans ce type de projet. Il a mis sur pied un certain nombre de bibliothèques pour enfants en Corée, parce que les Coréens ont peu d’accès aux livres (et les livres sont chers, ici). C’est dans ce genre de situation que je me dis que j’ai bien de la chance d’être née et d’avoir été éduquée en France. Toute ma gratitude envers la politique française de démocratisation culturelle en général, qui permet à tous d’avoir accès au savoir à travers un large réseau de bibliothèques. Je suis bien payée pour le savoir, après avoir pillé consciencieusement les bibliothèques parisiennes et lilloises. Donc, quand j’en parle à mes collègues coréens, ils sont plutôt envieux de la France.
Le second projet consiste à publier un livre pour enfant en Corée, inspiré de la littérature coréenne pour enfants. La population visée est un peu particulière. Ces livres sont destinés à des enfants dont l’un des parents n’est pas coréen. Les livres seront offerts le 5 mai, jour des enfants en Corée. Ces livres sont des livres coréens pour enfants, traduits dans plusieurs langues étrangères, visant ces populations. Grosso modo, je crois que cela concernera des enfants coréens d’origine philippine ou vietnamienne. Un tel projet laisse quelques questions en suspens. D’après un certain nombre de personnes (entretiens de recherche pour mon mémoire notamment), ces enfants métisses (dont, comme vous pouvez vous en douter, le père est coréen et la mère est étrangère) sont souvent l’objet de mauvais traitements, sont souvent mal intégrés dans la société coréenne. Dans ce cas, l’objectif prioritaire serait de favoriser une meilleure intégration de ces enfants dans la société coréenne. Je ne crois pas que le fait de s’intéresser à leur différence soit la meilleure façon de procéder, puisqu’ils sont de fait Coréens. Je crois qu’en France, l’approche aurait été différente, puisque la société française fait face au multiculturalisme, de fait, grâce à ses traditions républicaines, en dépit d’une crise plus que latente actuellement. Alors, que faire ?
Oui, il est vrai, se souvenir de ses racines, de ses traditions, c’est au combien important. Peut-être anodin, mais il est bon de le dire : la diversité est source de richesse. Et ces enfants ont besoin de se souvenir de leur identité. Je me souviens de cette conversation avec Ha, une amie vietnamienne qui était dans le workshop de Gwangju. Elle m’avait raconté l’histoire de sa cousine qui s’était mariée à un Coréen. Inutile de préciser qu’il ne s’agit pas tout à fait d’un mariage d’amour. Entendez vous les espèces sonnantes et trébuchantes ??? Ce qui devrait expliquer pourquoi les enfants ne parlent pas vietnamien, bien que la mère soit d’origine vietnamienne. Le mari coréen, bien sûr, ne parle pas vietnamien, il n’essaie pas non plus d’en savoir plus sur la culture vietnamienne. Il évite aussi les contacts avec les membres de la famille vietnamienne. Cette histoire m’avait laissée amère, voire même en colère (quand bien même Ha m’affirme que sa cousine tente de mener son bout de chemin vers le bonheur). Comment cette Vietnamienne en est venue à jeter son passé, effacer son identité face à ce mari coréen qu’elle n’a pas tout à fait choisi ? Comment se fait-il que ce mari ne respecte pas la culture de son épouse ? Je suis convaincue que ces enfants métisses regretteront un jour de ne pas en savoir plus sur « l’autre côté de leur identité ». Une part des histoires pas drôles que je peux entendre en Corée. Serait ce un vœu pieu que d’espérer que les choses changent ici un jour ? Espérons le.
Bien sûr, ce type de phénomène sociologique doit être relié au fonctionnement du marché matrimonial en Corée. Le simple mot de marché matrimonial doit vous faire un peu grincer des dents, mais c’est une réalité. A. Pingol, une des “fellows” du workshop à Gwangju, démarre son article par une perspective économique (entendre, par le marché). Son article traite du problème des femmes philippines mariées à des Coréens (les femmes comme sujets sexuels). Son point de départ : il y a un surplus de corps aimants (les hommes coréens) et un manque de support pour cet amour (mais zou sont les femmes ?). Qui est le coupable ? Qui est fautif dans ce déséquilibre avéré ? Je suggère que la philosophie confucéenne pourrait être dangereuse pour la société contemporaine coréenne, dans une perspective à long terme, dans un monde de plus en plus globalisé. Les traditions confucéennes, comme vous le savez certainement, privilégient le rôle des fils dans une famille. Le fils aîné était né pour s’occuper des aînés, lui laissant un rôle clé dans la famille. Dehors, la fille. D’où, certainement, une forme de machisme en Corée. Bien que, bien sûr, il m’arrive de constater l’émergence d’un ‘girl’s power’ (la suite dans un prochain billet !). Je ne suis certainement pas une fervente féministe, comme vous le savez peut-être, mais vivre en Corée pendant quelques temps pourrait bien changer les choses (rires).
Je sais aussi combien l’éducation peut modeler une personnalité, et combien le rôle des parents est important dans la transmission des cultures et des racines. A ce sujet, je ne peux qu’être pleine de gratitude vis-à-vis de mes parents (et je ne dis pas ça parce qu’ils lisent régulièrement ce blog…). Mes parents ont consacré tout leur temps, leur énergie et leurs économie pour nous permettre, à ma sœur et moi, d’apprécier, et d’incorporer les deux cultures franco-japonaises. Cela a pris du temps, mon Japonais n’est pas parfait, mais tout cela est une richesse qui est en moi, qui façonne mon identité. C’est pourquoi je finis par me sentir fâchée quand la mère démissionne devant le père, en matière de transmission culturelle. Il est pourtant si important que les deux cultures soient reconnues par les enfants.
Je pense bien que ce billet risque de donner lieu à quelques commentaires. Je les attends… Que ce blog soit lieu de débat, aussi.
Wednesday, February 28, 2007
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1 comment:
Je trouve tes articles très intéressants (juste que leur mise en forme n'est pas très lisible pour le web : ce serait sympa si tu pouvais aérer un peu les textes, juste mon avis) !
Pour ce qui est de la double culture, je suis tout à fait d'accord : je pense qu'il est important que chacun des parents transmette son héritage, car cette diversité est une richesse.
Moi, mon père est néerlandais et ma mère française, et je suis contente de connaître les deux cultures même si je connais surtout la culture française. Je regrette un peu que mon père n'ai pas pu beaucoup nous parler dans sa langue quand on était petit, mais bon, c'est comme ça. J'ai quelques notions de néerlandais quand même, surtout que j'ai essayé d'apprendre un peu la langue plus tard. Je me sens pleinement française, mais j'ai la chance d'avoir eu l'esprit ouvert à un autre pays dès mon plus jeune âge.
Pour ce qui est de la Corée, c'est vrai que j'ai lu plein de fois qu'il y avait une forme de racisme assez forte envers les enfants métisses, les adoptés à l'étranger, etc... Ce n'est pas une chose facile à comprendre quand on vit en France, où je ne vais pas penser que mes amis sont étrangers juste parce qu'ils ne sont pas blancs !
J'ai l'impression qu'il faudra beaucoup de temps pour faire évoluer les mentalités en Corée du Sud à ce propos....
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