Ce matin, j’ouvre le journal. Première page, au sommaire, je vois la photo de Maestro Rostropovitch. Je me dis, tiens, un concert du maestro à Tokyo ? En regardant de plus près, j’y vois la raison de la première de couv. Le maestro est décédé. Bonjour tristesse.
Je me souviens, il y a plus de trois ans, avoir déplacé des montagnes pour essayer de voir ce monsieur quand j’étais stagiaire vous-savez-où à Tokyo. C’était comme un jeu de piste, ma cheffe m’avait comme lancé un défi, un soir. « Tu as une petite heure pour me trouver où est Rostropovitch. Il joue tel jour à Tokyo, c’est tout ce que je sais. » La souris avait accepté le défi. En trente minutes, après avoir appelé les trois plus grandes salles de concert et les trois plus grands imprésarios au Japon, je tenais l’information. Maestro dépend de l’imprésario XXX (connu pour s’occuper assez régulièrement d’artistes russes, d’où une obédience plutôt communiste), joue dans la salle WWW à Tokyo, et séjourne à l’hôtel YYY de tel jour à tel jour. Je tenais à rencontrer ce monsieur. Fille de musiciens, on ne se refait pas. C’est avec bonheur que j’apprends que le Maestro souhaitait rencontrer ma cheffe pour un déjeuner de travail, mais qu’il avait une petite exigence : avoir une traductrice qui puisse parler Anglais, Français, et Japonais. Bizarrement, vous savez quoi, j’en connaissais pas beaucoup dans mon entourage professionnel qui aurait pu faire cela, donc, c’est la bouche en cœur que j’avais énoncé à ma cheffe la petite exigence du Maestro, qui me donnait un billet pour assister à l’entrevue. Malheureusement, le déjeuner fut annulé pour cause de concert privé impromptu à la cour impériale… La souris s’était cependant trituré les méninges… Et avait finalement réussi à avoir ce rendez vous dans le bureau de ma cheffe. Nous passerons sous silence l’annulation du dîner chez le grand chef, qui nous a valu, ma cheffe, son assistante et moi même, un des fou-rires les plus mémorables du service. Je ne savais pas qu’un grand chef puisse se comparer un instant avec un… paillasson. M’enfin, passons. L’entrevue, je l’ai eue. Je l’ai vu, le grand homme qui dégaina son violoncelle un certain jour de novembre 1989 pour célébrer la chute d’un certain mur… Je lui ai parlé, il m’a serré dans ses bras, avec toute la chaleur russe qui s’en suit. Je me souviens de ses yeux pétillants, de sa gentillesse, de ses blagues. Nous rions lorsque le Maestro joua à séduire ma cheffe, dans un style très « viens monte dans la datcha avec moi, que je te fasse découvrir ma Russie… Appelez moi Mislav !», ou lorsqu’il me regarda d’un air malicieux et déclara, « cette petite mignonne a un petit air de souris ». Je l’ai eue, la dédicace pour ma sœur, qui jouait un peu de violoncelle, sur la partition des suites de Bach pour violoncelle, pour qu’un jour, elle arrête de les massacrer, nos oreilles avec. Un de mes meilleurs moments de stage. Voir une page de l’Histoire, de l’histoire de la musique. Moment de magie dans mon stage… J’avais même un jour entendu au loin, au téléphone, quand je parlais à l’imprésario, la musique du Maestro…
Maestro, merci d’être venu. Reposez en paix…
Mon séjour au Japon a été marqué par des événements tristes. Décès, maladie. Jusque là, je croyais au fond de moi que j’aurais pu, j’aurais eu la force d’être médecin, parce que j’étais suffisamment forte pour supporter la douleur des autres. Je viens d’en avoir le démenti. D’ordinaire, mon regard esquive les scènes de souffrance. Quand la douleur s’abat sur les proches, quand le cancer ronge la vie d’une proche, l’esquive n’est plus permise. Il fallait cependant larmes étouffer, et sourire afficher… Ecouter la douleur de l’autre, partager la souffrance. Un pas forcé vers l’âge adulte, comprendre que la vie est foncièrement injuste, que le destin ressemble étrangement parfois à une roulette russe. Remercier le bon dieu d’avoir des grands parents en France et au Japon qui sont en pleine forme…
Sunday, April 29, 2007
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1 comment:
Aw. this was a really quality post.
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